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jeudi, octobre 21, 2004

(Moby / Honey)

Aujourd’hui, une écriture authentique doit être née de la souffrance, ou plus exactement de la conscience de la souffrance. Il ne s’agit pas d’écrire parce que l’on souffre, comme un antidouleur, mais de subir l’angoisse provoquée par l’existence de cette souffrance extrême (Doctor Hector and the Groove Injectors / Bad News). Je précise « aujourd’hui » car j’ignore si cela a toujours été le cas. En fait, je suppose même que non.

On doit pouvoir élargir ça à l’art. Si l’on met de côté les élucubrations de ce qu’on appelle l’art contemporain... je m’interromps. Elucubration est peut être un peu fort. Disons que ces discours et réflexions ont une valeur certaine, au niveau d’une philosophie de l’art ancré dans le monde, ancré dans sa société. Mais j’essaie pour ma part de parler de l’art dans ce qu’il a d’éternel, donc d’intemporel, et dans ce cadre là, les productions de l’art contemporains ne peuvent rentrer en ligne de compte (Massive Attack / Protection). Reprenons. Si l’on met de côté l’art contemporain, on peut élargir de l’écriture vers les autres formes d’expression artistique.

Bon, ça c’était « d’une part ».

« D’autre part », je reste convaincu que le seul échappatoire qui s’offre à nous pour sortir du nihilisme moderne est l’art.

Je veux, personnellement moi-même, sortir de ce nihilisme. J’angoisse. Mais je ne veux plus angoisser (Boris Vian et l’orchestre du Tabou / Ah ! Si j’avais 1,50 F) ! Je devrais donc produire de l’art ? Mais problème : l’art, l’écriture, prend sa source dans la souffrance, mais ne libère pas de cette souffrance ! Elle ne remédie pas à la souffrance et elle ne prive pas de la conscience de cette souffrance !
Alors que faire ? Fermer les yeux pour ne pas voir la souffrance ? Et partant, la développer ? (Björk / Army of me)



vendredi, octobre 15, 2004

(Plaid / Eyen... Merci à Beyrouth pour ce CD qualité)

Je n’ai jamais aimé l’esthétique. Ces histoire d’images, d’illusion, de réalité, de connaissance… ça ressemblait beaucoup à de la perte de temps, quand même. Bref, même si ça n’en était pas, ça ne m’intéressait pas outre mesure. Et ça ne m’intéresse toujours pas, a priori.

Mais à bien y réfléchir, il y a peut être des choses fondamentales à tirer de l’Image. De l’Imagination aussi, d’ailleurs. Après tout, même Kant parlait de l’imagination comme un des piliers essentiels de la pensée humaine. Et si tout ça pouvait enrichir notre réflexion anti-rationalisme ?

On va tenter quelques rapides définitions avant de pousser plus avant (Pigalle / Un Verre). Imaginer : penser, manier des représentations à la place des impressions, des idées, des concepts, des notions. Activité de conception qui suppose de l’abstraction.

L’Image intervient entre la donation du sensible et la capacité d’énoncer abstraitement. C’est là qu’intervient la notion d’image, passage entre le perçu et le conçu. Et c’est là qu’on se rend compte de l’importance du rôle (Annie Lennox / Here comes the rain again, unplugged) de l’image. C’est vrai, finalement dans l’histoire de la pensée, on déprécie souvent l’image, on en parle toujours comme d’une « réalité amoindrie », comme quelque chose de « pauvre en réalité, en monde », alors qu’elles peuvent complètement bouleverser nos vies, même les images les plus pauvres, les « fantasmes » selon le terme grec.

Et si tout était image ? Ce serait alors le concept qui serait appauvrissement de l’image et non l’inverse. Mais voilà que je m’embarque dans ces questions sur la réalité qui m’ennuient, alors je ferme cette voie et je reviens à autre chose.

Toute connaissance est visuelle. C’est notre héritage occidental, qui a considérablement sur-évalué le visuel. Une pensée d’aveugle est elle possible ? (Dead Can Dance / Threshold) Et y a-t-il une image visuelle qui ne se laisserait pas verbaliser ?

Je parle d’Image, d’Imagination et pas encore d’Imaginaire. Essayons aussi de définir l’Imaginaire : ensemble de processus toujours liés à l’image, mais pas à l’irréel. Manière d’élaborer une rencontre avec le réel, mais pas sur le mode du discours rationnel. Hm je préfère cette seconde définition.

Partons maintenant d’un jeu de mot : l’image comme véritable milieu de réflexion. Réflexion optique, mais aussi réflexion intellectuelle. Il doit y avoir moyen d’abuser de ce double sens et d’en tirer quelque chose (The Connels / 74-75).

Bon. Comment l’image pourrait-elle nourrir notre réflexion ? En général, si on parle de l’image dans la réflexion, c’est pour dire que justement, elle n’est qu’un reflet, donc quelque chose de moins bien que l’original. Notre but : essayer d’éviter de tomber là dedans. Ou d’en tirer quelque chose de différent par rapport à d’habitude. Essayons de voir l’image comme quelque chose de fécond, comme un espace créateur, ou plutôt matriciel, puisque je rechigne toujours à employer le verbe Créer. Ou alors au moins comme un espace de transition, si ce n’est pas un espace de mise au monde.

Si l’image est moins bien que l’original, après tout, peut être que c’est le cas de la pensée également. Après tout, la pensée n’est PAS claire est distincte, c’est un mensonge, ça, je ne sais qui a lancé cette idée un jour, mais vraiment n’importe quoi. Encore un de ces fêlés de la Renaissance, à coup sûr. Un fêlé célèbre, en plus. La pensée est obscure et confuse. Surtout dans la journée. Enfin en ce qui me concerne, rien n’est jamais plus clair dans la ma tête que la nuit.

Certes, il existe une pensée claire, formelle, idéalisée, scientifique, mais ça ne suffit pas, ça (JAVA / Ca s’ra tout ?). Comme l’avait déjà relevé Vico, bien avant Nietzsche, Bachelard, ou je ne sais qui, la pensée poétique, analogique, l’onirique, tout cela s’interpose, s’impose et sert d’interface dans l’expression de ma pensée (et partant, de la communication de ma pensée, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui). Je résume : si je veux que ma pensée se formule dans ma tête, j’ai aussi besoin du brouillard que produit l’image. Ouais, c’est peut être pas beaucoup plus clair, en fait. Tant pis.

A ce sujet, je vais briser avec mes habitudes. Ben oui, j’ai l’habitude de dire que le XXeme siècle est un siècle de boulets, qu’on a tout zappé, que l’excès a été la marque de fabrique de ce siècle... Mais pour le coup, le XXeme s. n’est pas passé à côté de l’importance de l’image. Il n’y a qu’à voir Freud. Toute l’imagerie inconsciente qu’il y a là dedans, on ne peut pas dire que ça ait été mineur dans ce siècle. On a reconnu l’importance de l’image, sa puissance, et on a su la démystifier. Mais démystifier ne signifie pas nier, et on a su éviter cet écueil (Calexico / Quattro).

On se retrouve un peu comme avec le langage et la vérité : c’est un obstacle (l’image est brume, tromperie), mais c’est aussi le meilleur moyen et surtout un moyen indispensable pour y parvenir. L’image permet de triturer la réalité, et nous permet de mieux l’appréhender. Prenez le plan d’un architecte : c’est une image, déformation de la réalité (l’échelle est réduite), mais qui nous permet d’appréhender le bâtiment dans son ensemble. Ben voilà, tout pareil.

Et pourtant le dessin est faux. Outre l’échelle, il est en 2D, bêtement, quand la réalité est en (au moins) 3D. Néanmoins le dessin « fait » vrai. Alors qu’il est faux. Et ça arrange tout le monde. Devrait on se casser la tête à faire des dessins « vrais » ? Faut-il reproduire à l’identique (2 Many Dj’s / Beatles VS Kraftwerk) ? Evidemment l’artiste répond que non. L’image est intéressante parce qu’elle n’est PAS identique, justement. C’est par là qu’elle ouvre des champs nouveaux à nous mettre sous la dent/le cerveau. Ce qui est intéressant, c’est la capacité à dé-former, et non à former des images (Emilie Simon / Flower never die).

Cet écart entre la chose et la représentation, on l’imagine le plus souvent comme une perte. On critique l’image parce qu’elle n’est pas présence de la chose. Et effectivement, l’image, ce n’est pas la présence, ce n’est pas le présent (encore qu’on dire qu’elle s’offre à nous, donc c‘est un présent... on s’égare. De l’est). C’est forcément du côté de la mémoire que se situe l’image. Et est-ce que ça change quelque chose pour nous ? Non. Bon, on laisse tomber cette voie aussi, alors.

Ce n’est pas intéressant, mais si on s’arrête là, on réduit l’image à une simple représentation de ce qui existait antérieurement à elle. Et ça ressemble un peu à ce qu’on (je dis On, mais je n’en sais rien en fait, de ce que pense On, je devrais dire Je), à ce que je voulais éviter au début (mouais bof le Je ça fait vraiment didactique, genre je vais vous apprendre la vie, je n’aime pas). L’image c’est beaucoup plus que ça (Philip Glass / The Crypt).

L’écart entre la chose et l’image n’est pas une déficience. Ce sont les stoïciens (pendant longtemps mes chouchous), je crois, qui parlaient de *phantasia kataleptikê, qu’on a traduit par « représentation compréhensive ». L’opération qui se déroule entre l’intuition/perception de la chose, jusqu’à sa conceptualisation dans notre tête étant comparée à une main qui se referme peu à peu. Eh oui, dans compréhensive, il y a préhensive (ok il y a com aussi, merci, bien joué captain obvious), il y a préhension, il y a prise, capture, saisissement. Quand la main est fermée, la donnée sensible est prise, comprise, la perception (comme pour les impôts finalement) est complète. Et là, l’imagination, c’est ça, c’est la puissance de constituer une imagerie du sensible, c’est un processus de mise en image. L’imagination est imageante, finalement, et pas imaginante. Mouais. C’est limite chelou ça. Je ne serai pas surpris qu’on trouve une faille à ce niveau là. Mais pour les besoins de mon cerveau qui n’a pas envie de chercher, on va continuer et faire « comme si ».

(Miles Davis / Bye Bye Blackbird) L’image est une copie, c’est un processus mimétique, OK, mais il y a quand même un processus artistique, flou, onirique. L’image n’est pas une photographie, une écriture de la lumière. Le cerveau n’est pas une page blanche. Il y a une opération, un acte, une modification, un travail, qui relève de l’artistique. La perception de l’image n’est pas quelque chose de passif. Il y a un mouvement, quelque chose qui fait l’image est souple, floue, qu’on en a une vision globale et en même temps qu’il y a un souci du détail. Finalement, ça recoupe ce que je disais sur la façon dont on s’approprie une œuvre d’art, si on considère que l’opération effectuée est différente pour chacun d’entre nous. L’image est liée au langage, ce n’est pas nouveau, mais là, on la lie au commentaire. A garder dans un coin du cerveau pour développement ultérieur. Qui dit commentaire dit information, qui dit information dit richesse (ou pas) en contenu.

Par rapport à la réalité, une image peut donc être plus ou moins riche en contenu, en information. L’image est plus riche quand elle n’est pas que reproduction. J’ai l’impression de me répéter, mais ça nous amène à rechercher l’image la plus pauvre (Foo Fighters / Floaty). Et à tomber sur ce qui ressemble à un paradoxe.

Car, dites moi si je me trompe, mais l’image la plus pauvre en information sur le monde, c’est une image géométrique. Un cercle, mettons. Il n’y a pas de véritable cercle dans le monde. Même si on dessine un cercle sur une feuille de papier, ce n’est qu’une approximation, aussi juste soit elle, de la réalité mathématique et géométrique « cercle ». Ou alors je dis n’importe quoi, et ces images géométriques sont en fait très riches. Ou alors les deux, à la fois très riches et très pauvres. Le paradoxe n’est pas la contradiction. Même si là ça ressemble beaucoup à une contradiction.

Du coup je reviens sur ce que j’ai dit : les figures géométriques ne sont pas pauvres, (Dean Can Dance / Ocean) il n’y a pas grand chose qui ait autant inspiré l’humanité que les figures géométriques, même. Ce sont des images extrêmement fécondes. Néanmoins, il reste que ce ne sont pas des images qui reproduisent des étants. Un casse tête dont les Pythagoriciens sont sortis en posant tout bêtement que les figures géométriques sont des étants. Mais là on retombe sur les problèmes de réalité et d’existence qu’on essaye d’éviter (Rage against the Machine / Wake Up). Avec les images géométriques on a des images pauvres qui sont riches car elles ne sont pas des représentations des reproductions. Les images géométriques sont des images non corporelles et par là, elles ont une proximité avec la pensée, et non avec la réalité, que les autres images n’ont pas.

Les figures géométriques sont des images simplifiées à l’extrême. Plus une image est simple, plus elle est riche ? Ce n’est pas idiot.Ca renvoie à Bachelard, dans l’air et les songes, qui parlait du dessin du vol d’un oiseau. Un truc tout bête, un genre de V. L’oiseau n’est pas détaillé, on ne voit ni ses plumes, ni son bec, ni ses pattes ni rien. Simplification extrême. Aucun oiseau ne ressemble à ça : V. Ce n’est plus une image qui représente un oiseau (Schubert / symphonie n°8 en Si… interprète inconnu), c’est le concept de l’oiseau qui est mis en image. A travers ce ridicule graffiti, ce sont tous les oiseaux du monde qui sont recouverts, et on comprend immédiatement que cela représente un oiseau. Ce graffiti, c’est le concept mis en réalité, le concept réalisé de l’oiseau. L’oiseau est simplifié, condensé, et mène ainsi directement à l’idée de l’oiseau.

Le cerveau peut produire des images, comme ce graffiti, qui ne sont pas des reproductions et qui permettent d’en savoir plus que l’induction empiriste. La figure, le schéma est plus fort que la représentation parfaite de l’objet. Il permet de saisir l’essence/l’essentiel de la chose.

Et on a là une notion qui met bien l’image comme un lieu de transition, entre l’objet et le concept de l’objet. L’image est le lieu du mouvement, le media, un véhicule qui mène vers les objets, sensibles ou intellectuels, peu importe (Queens of the Stone Age / Gonna leave you). Toute image, ou plutôt tout schéma est une relation, un lien, qui fait passer d’un mode cognitif à un autre.

Arg. Je viens de me rendre que l’emploi qu’on a fait du mot schéma n’est peut être pas innocent. Car il vient de me revenir que Kant emploie le mot de schème et accorde une fonction primordiale à l’Imagination dans la Critique de la Raison Pure (la première édition ; dans la seconde il zappe tout ça, mais on peut en voir les traces dans la préface et l’intro, et maintenant que j’y repense je me demande s’il n’en parle pas aussi dans la Critique du Jugement, ou de la Faculté de Juger, je ne sais plus le titre exact). Je dis « arg » car, si j’admire le travail colossal de Kant, ça ne m’empêche pas de le rejeter viscéralement. Parce que c’est typiquement le genre de système rationnel que je veux à tout prix éviter (Beck / Loser). Ca me dégoûte, tiens, d’en être arrivé là...




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