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mardi, juin 20, 2006

Un truc que j'ai écrit il y a un certain temps mais qui a suffisamment d'importance pour que je veuille le conserver. J'utilise donc le plus gros disque dur du monde : Internet.

À tous les âges, finalement, on croit savoir, tout en se disant qu’on ne sait pas. Enfant, on découvre, et l’on pense être les premiers à découvrir. Adolescent, on découvre, on sait n’être pas le premier, on sait qu’il reste de choses à apprendre, mais on pense avoir compris la base, l’essentiel (Death in Vegas / Neptune city). On a vécu l’expérience de la mort, de l’amour, la souffrance, le combat, le repos, la joie, la compassion, la haine, la colère, le désir, la raison, la puissance et la faiblesse, la trahison, les honneurs et l’injustice. On s’est remis en cause, on s’est questionné soi et le monde, et parfois, on a réussi à se trouver quelques réponses. On a appris suffisamment pour savoir qu’il nous reste beaucoup à apprendre, mais on a vécu, et l’on est devenu des êtres à part entière, et non des produits manufacturés, valorisables et consommables. (Gotan Project / Criminal) Et puis on sort de l’adolescence et on perd encore quelques illusions, on se porte encore quelques coups pour ressentir le bouillonnement de la vie dans nos corps, la source qui commence déjà à se tarir, si tôt, si vite, on comprend enfin que l’on n’est pas immortel. Et puis les crises des décennies se succèdent, trentaine, quarantaine, cinquantaine…

Quel que soit notre degré de maturité, rien ne viendra remplacer la valeur du nombre des années.

On croit savoir. Là encore, en écrivant ces lignes, je dis ce que je crois savoir, et je me retrouverai, dans sept ans, à écrire mes nouvelles désillusions. Et puis, sont-ce vraiment des désillusions ? N’est-ce pas tout simplement le monde qui change ? La question se pose habituellement dans l’autre sens, on pense que c’est le monde qui change, et on se rend finalement compte que c’est surtout nous qui changeons, qui laissons notre être passé comme autant de peaux mortes derrière nous. Tout notre corps se transforme en permanence, il n’est pas une seule de mes cellules qui n’existait déjà il y a quelques années. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, mais quand bien même le fleuve ne changerait pas, on est jamais deux fois la même personne, purement physiquement, indépendamment de tout état d’esprit.

(Mano Solo / Je n’y peux rien) Dans ma naïveté, la dernière en date, je croyais savoir ce qu’il en était de l’amour. J’avais vécu le coup de foudre, l’amour de la foi, l’amour de mon prochain, l’amour de ma personne, l’amour filial et fraternel, j’avais vécu l’amour enfantin et les amours adolescentes, et j’en étais sorti, puis j’ai commencé à construire un amour adulte, fait de passion, de complicité, de courage, de compromis et de foi en l’avenir, d’efforts et d’envies, pour me réveiller un matin et me demander ce que je faisais là, à la place d’un autre, au côté de celle qui n’était plus ma moitié mais qui était devenue une excroissance. (Serge Pesce / Plateaux et Lou Reed / Take a walk on the wild side) Et je n’attendais alors plus rien. Je pensais avoir tout appris et d’abord que s’il est un domaine où il n’y a rien à comprendre, où il est impossible et surtout vain d’expliquer quoi que ce soit, c’était celui des sentiments humains en général et amoureux en particulier. J’avais appris qu’on trouvait quand on ne cherchait pas, là où on ne cherchait pas, ce que je savais déjà, mais que le nombre des années ne m’avait pas enseigné au cœur de ma chair. Ma vie a suivi son cours, et je me suis dit que la souffrance de la solitude avait été le prix à payer pour rester honnête, droit, fidèle à ce que je tenais pour valable. (Miossec / Les gueules cassées) Hors de question de partir en quête effrénée de l’âme sœur, de jouer à nouveau le jeu d’un autre, même inconsciemment. Hors de question de m’abaisser à cela et d’abaisser une éventuelle partenaire à ce niveau.

Et une fois de plus, j’ai découvert que je ne savais rien, que je n’étais qu’un crétin ignorant, sûr de lui et peureux, préférant se retirer à régner sur son âme plutôt que de se rendre à l’évidence, que je faisais l’expérience, encore une fois renouvelée (Java / Hawaii), du désir et de l’amour. Deux idées pourtant qui peuvent sembler opposées, quand Platon crie Eros, Virgile murmure Amor et Augustin professe Caritas. Et des trois, toujours, j’avais mis l’Amor au sommet. Persuadé que j’étais qu’il nous était aujourd’hui interdit, impossible, de vivre les expériences du désir de nos ancêtres, je cousais moi-même mes paupières pour ne pas voir ce que j’avais sous les yeux.

La vérité, c’est qu’à nouveau, j’étais amoureux. A nouveau, non pas dans le sens « encore une fois », mais bien « d’une nouvelle façon », d’une façon non pas nouvelle en réalité, mais inconnue à moi. J’étais amoureux, je suis amoureux, je me fais violence pour avouer le verbe au présent, à la façon d’un poète italien, bête et transi, buvant chaque seconde de vision et d’entretien, oral ou épistolaire, en présence de l’être aimé, d’un amour si intimement lié à la souffrance que c’en est une fureur. (Cowboy Junkies / To love is to bury) J’aime tellement naïvement que mes rêves sont réellement peuplés de sa personne et que le réveil est une cruelle désillusion ; je me sens tellement pathétique à écrire et vivre cela, mais aussi quel contentement, quelle source de joie ineffable ! Dans ces rêves j’ignorais, j’ignore encore à l’heure où j’écris ces lignes, si mon aimée m’aimait en retour, plus que le jeu de l’amour c’est celui du désir, celui de l’Eros reconnu et élevé par l’Amor, rapproché de l’Un, Principe et Source, qui était joué. Les ambiguïtés de notre relation, qui me faisaient souffrir lors de mes phases d’éveil, disparaissaient dans ces rêves, laissant la place à une éphémère et ébouriffante certitude ; et pire encore, l’absence de ces ambiguïtés (T Rex / Cadilac) qui me plongeait dans un abyme de désespoir, était remplacée par des questions muettes et des réponses en regard, se cherchant, se trouvant parfois, trop rapidement, trop tardivement.

A écrire ces mots, je suis prêt à rire de moi. Et à me voir en train de rire, je suis encore plus enclin à me moquer. Quoi ? Qui est ce drôle, ce rustre, cette brute, qui se permet de rire des émois de l’amoureux transi, de celui qui contemple en silence sa belle dame sans merci ? Quelle sorte de barbare est-ce là, celui qui ne vit dans un monde fait que de formules mathématiques, Archive / Pulse) de phénomènes physiques, de réactions chimiques et de pattern psychologiques ? Qu’il aille à l’étable avec ses semblables les animaux, celui qui est dépourvu d’âme. Il vivra une vie faite de coït et de nutrition, en se prétendant bon vivant. Assez sur lui.

Je suis muet devant sa beauté, frappé par son regard, son esprit, je suis un être misérable et faible mais me sent plus fort que dix mille hommes quand enfin son regard croise le mien, quand sa main touche mon poignet… et tellement inutile, tant je sais, enfin, crois savoir, que ce n’est pas cela qu’elle cherche, que les dernières flèches à s’être plantées en son sein étaient cruellement barbelées (Clap your hands say yeah ! / Over and over again), et ont déchiré plus que leur part de chair. Ma folie est telle que je suis heureux de l’imaginer amoureuse d’un autre, si cela au moins pouvait lui donner à nouveau foi en ce merveilleux sentiments, quel que soit le visage et la forme qu’il empruntera pour elle.

Je suis aujourd’hui prêt à entendre toutes les chansons d’amour les plus niaises, prêt à dire les mots les plus stupides du plus mauvais des poètes, pour avoir un seul instant sa tête contre mon épaule, ou seulement un de ses regards rempli de joie et de vie, ou un tête à tête de quelques instants à pouvoir parler avec elle, ou juste l’écouter.

L’amour a fait de moi une loque, et j’aime ça. J’en rirais. J’en ris. J’en ris car toute la souffrance et l’amertume cumulées qu’il me vaut n’arrivent pas à la cheville du moindre atome de bonheur et de félicité pure que j’en retire (Seatbelts / Gotta knock a little harder). Et j’en ris car, quand bien même je n’en goûterai pas une once de bonheur, j’ai la chance de faire cette expérience unique peut-être, nouvelle et merveilleuse pour moi, et que ma vie jusqu’à cet instant me semble aujourd’hui dénuée de toute valeur.

Peu importe ce qui ressortira de cette histoire, aujourd’hui enfin, je peux vivre, et le crier à la face du monde. Je suis vivant, je suis un, je souffre et je jouis, je ressens, j’exprime, je suis ballotté par les vents, je suis un fétu de paille dans la tempête du monde, je n’ai aucun contrôle, je n’ai enfin plus aucun contrôle sur mon âme et mon esprit, et aujourd’hui enfin je peux contempler la Beauté, la Vie et le Visage de Dieu dans tous les êtres faits de la lumière de ce monde. Je rends grâce aux étincelles de ses yeux qui m’ont fait entrevoir la fulguration divine, et peu importe que cette foudre m’illumine ou me consume.

Je vis, à nouveau, enfin.


Paris, 05/06/2006



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