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vendredi, décembre 15, 2006

Jeudi soir... non, Vendredi matin, 02h48. J'écoute les Solo Piano de Philip Glass. La série des 5 Metamorphosis, suivi de Mad Rush et de Wichita Sutra Vortex. A ces pianos suivront des concerto pour violon, toujours de Glass.

Je ne pensais pas que cette musique me remuerait autant. J'aime beaucoup ce que fait Philip Glass. Je l'ai découvert par le disque Glassworks, et mon intérêt à vraiment été piqué quand Karl Biscuit utilise explicitement le travail de Glass dans son Office des Longitudes.

Après des nuits consummées par Pink Floyd, je pensais avoir vécu un été tardif dans mes nuits, et être enfin entré dans l'hiver. Rien à faire, me voilà reparti dans ces nocturnes escapades, de ballets en cinémas, de théâtres en bars... Merci à Pierre-E. pour le Look Bar, d'ailleurs. Ou enfermé chez moi m'excluant farouchement du monde, à m'abreuver d'une sainte musique ou d'écrits sacrés. Je pensais pouvoir profiter de la lumière du jour à mesure que ce dernier diminuait. Rien à faire, Philip Glass donne la condamnation finale aux jours à venir, et donne sa forme, son reflet, sa couleur à la nuit que ces éclats de soleil entrecoupent.

Concilier Easy Rider et Bienvenue à Gattaca, ma Scrambler Voyager et la Nef des Fous, une non-histoire du rock et un piano solitaire. La Heroes Symphony de Philip Glass, main dans la main avec David Bowie et Brian Eno. Comprendre enfin Berlin, Berlin l'enchanteresse. Revoir Florence, la dynastie des Visconti-Sforza, reprendre contact avec les Hospitaliers de Malte, étudier les nuances de violet, de mauve et d'indio, même, dans le ciel recouvrant les toits de Lyon à une heure où toute lumière pourrait se croire bannie.

Enter le Faune. Le mien. Je suis son mortel.

« Et peut-on savoir quel est ton nom ?
-Appelle moi comme tu veux, j’ai déjà eu tant de noms…
-Tu parles d’un cliché. Je déteste les clichés.
-Je les adore. Mais je comprends du coup pourquoi tu détestes ta vie.
-Je ne déteste pas ma vie. Je me pose des questions. Et tu n’as pas répondu à la mienne. Tu n’existes pas, il n’y a aucune explication rationnelle à ton apparition, à ton discours et à cette discussion. Tu n’es sans doute qu’une hallucination, une projection de mon inconscient, de mon esprit fatigué.
-Si tu veux. Une projection de ton inconscient. Pas terrible comme nom. Tu ne peux pas me donner un vrai nom ? Quand on m’appelait Faune ou Ange, je trouvais que ça avait plus de classe. Enfin, à chaque époque ses divinités et ses superstitions, je suppose.
-Superstitions ? Bien, au risque de te décevoir je ne considère ni la psychologie ni la théologie comme des éléments de superstition. Mettre les anges au même niveau que les faunes, c’est gonflé.
-Je suis plutôt gonflé, comme type, à ce qu’il paraît, ça me va.
-J’ai quand même du mal à croire que mon inconscient mette au même niveau les émanations de l’Un divin et des constructions mythologiques primitives.
-Primitif toi-même. C’est peut-être alors que je ne suis pas le fruit de ton inconscient, comme tu veux me faire croire que tu le crois.
-Cette conversation prend une tournure bizarre…
-Elle l’est. Tu es en train de parler avec quelqu’un dont tu réfutes l’existence matérielle. On a vu plus commun, comme situation. La faute à qui, je te le demande ? Reconnais mon existence, et la situation sera déjà moins incongrue. »

...

« Je te sers quelque chose ?
-Volontiers.
-Tu as une préférence ?
-Aucune, comme toi.
-Normal.
-Si tu le dis. »

« De la bière ? Tu me surprends, c’est d’un vulgaire.
-Tu n’y connais rien, reste dans les profondeurs crasses et animales de mon psychisme, veux-tu ? Ou alors si tu dois vraiment en sortir, fais-moi confiance pour ce qui est des mondanités. La bière, c’est le fin du fin, en ce moment. N’oublie pas : la guerre c’est la paix, l’esclavage c’est la liberté, la rudesse c’est le raffinement.
-J’ai connu un type qui avait à peu près écrit ça. Il avait aussi écrit que l’avenir était un visage écrasé par une botte. Il ne s’était pas tellement trompé.
-Avoir lu Orwell ne signifie pas que j’ai connu Orwell.
-C’est de moi dont je parlais.
-Mais toi c’est moi ; si tu dis avoir connu Orwell, c’est que j’ai connu Orwell, or ce n’est pas le cas. Donc tu mens, tu n’as pas connu Orwell.
-Peut-être, effectivement, que c’était juste pour faire un bon mot, ou te montrer que j’avais saisi la référence. Peut-être aussi que ton postulat de base est erroné, et que je ne suis pas toi. Je le répèterai bien encore deux trois fois, mais je pense que ce serait inutile.
-Effectivement. Mais je suis prêt à jouer le jeu, si ça peut te faire déguerpir. Si tu es une part de moi, je serais obligé de te supporter tant que je n’aurai pas trouvé comment à la fois me tuer et me survivre. Si tu es un autre, me débarrasser de toi me devient beaucoup plus facile.
-Je vois que tu reviens à la raison et acceptes de voir les choses en face.
-Je m’en éloigne bien au contraire, et je décide de fermer les yeux sur les incohérences.
-C’est précisément cela, regarder la vérité en face, non ? »
Question éludée d’un geste de la main.
« Alors baptisons toi, puisque tu n’es pas moi. Tu parlais de faune tout à l’heure, j’aime beaucoup cette image du faune. Je me faisais justement l’observation qu’elle revenait en force dans l’imaginaire collectif actuel. Alors pourquoi pas dans mon imaginaire personnel.
-Je te rappelle que je ne suis plus un produit de ton imaginaire, même pour toi.
-Permets-moi de te corriger : tu es en train de ne plus l’être. Mais le cordon n’est pas encore complètement coupé.
-Je ne l’ai jamais objectivement été, ton insistance à me croire fruit de ton esprit devient irritante.
Geste d’excuse fatigué. « Pardonne moi, et mettons ça sur le compte de la fatigue. Comment veux-tu t’appeler ?
-Je te suis reconnaissant de me demander mon avis. Mais seuls les créateurs sont à même de se nommer eux-mêmes. Je ne suis pas un créateur, je ne suis qu’une créature.
-Et l’homme libre, il ne se nomme pas, lui ?
-Je dirais d’abord que la frontière entre le créateur est l’homme libre est plus que ténue, et je te demanderai ensuite de me désigner un homme libre, n’importe lequel, dans la foule des êtres qui composent l’humanité passée, présente et à venir.
-Joker. Et puis d’abord, quelle utilité auras-tu d’un nom, Faune ?
-Il me définira. Il me permettra de me faire faire des papiers, de rentrer définitivement dans ton monde, et d’y agir complètement, d’y déployer ma puissance.
-Quelles trivialités.
-La vie est faite de trivialités. Et de clichés aussi, mais tu m’as déjà dit que tu n’aimais pas ça.
-Encore un cliché.
-Ce qui tendrait à me donner raison, tu ne crois pas ?
-Tu ne m’auras pas aussi facilement, manipulateur à la manque. » Un silence. « Tu sais ce qui me dérange le plus dans ton apparition ? Je suis actuellement en train d’essayer d’écrire quelque chose, quelque chose de vrai, une histoire, une fiction. Oui je sais, je dis partout que je n’écris pas, que je n’écris plus, que je ne veux plus écrire, que je n’ai jamais écrit, mais c’est tout le contraire, je crève d’écrire, et ce qui me dérange le plus, disais-je… Ce qui me dérange le plus, c’est que dans le récit que je rédige, le personnage principal se trouve confronté à deux personnages parachutés sans explication, qui vont être les éléments qui vont permettre à ce même personnage principal d’exposer la situation sous ses divers aspects au lecteur. Tu me suis ? Bon. Ce qui me dérange, c’est que tu arrives dans ma vie plus ou moins de la même façon, sans explication, sans définition, sans nature autre que celle de ton rôle à remplir dans le récit de ma vie. Un élément déclencheur qui précède sans aucun doute la krisis débutant l’action du roman de ma vie.
-Je te remercie. Après m’avoir nié toute réalité, tu l’acceptes finalement, mais uniquement pour la limiter à la relation que j’ai avec ta personne. A t’entendre, je n’aurai jamais existé avant qu’un supposé récit n’ait besoin de moi, ce récit te prenant comme personnage principal. Te rends-tu comptes de l’incroyable égocentrisme dont tu fais preuve ?
-Tu ne dis pas que j’ai tort.
-Si tu ne veux pas l’entendre entre les mots, je peux te le dire directement : tu as tort."

Chaussures de sport usées et sales, chaussettes noires, jean noir, chandail noir... Chandail ? on utilise encore ce mot, me demande-t-il amusé ? les manches confortablement remontées jusqu'au coude, les mains enfoncées dans les poches, le sourire calme et moqueur, esl yeux marrons, la peau mat, et bien sûr, les cheveux roux, épisse tignasse d'où sortent, enroulées sur elles-mêmes, deux cornes de bouc. Le Faune me contemple et attends. Je ne comprends pas ce qui a motivé sa venue, je ne sais pas comment le faire quitter les lieux. Je ne sais même pas si j'en ai l'envie, ou si je désire qu'il reste. Peu m'importe, c'est la fatigue, qui commence à se transformer en euphorie, qui l'emporte.

Ca ne devrait pas être l'inverse ?
-Plaît-il ?
-Tu as un corps humain et une tête mythique. J'ai toujours cru que les faunes dans ton genre avaient des jambes de bouc et une tête humaine.
-C'est une erreur. Notre corps, et a fortiori nos pieds et nos jambes qui touchent la terre, est ancré dans la matérialité. C'est notre esprit qui suit une raison mythologique.
-Mythologique ?
-Mythologique. C'est notre âme qui est sauvage, primale, éthérée.
-Sauvage, primale et éthérée ? J'aurai dit que l'éthéré est léger et raffiné, plutôt que violent et animal.
-C'est parce que tu n'as jamais contemplé la puissance des alizés qui soufflent en haute altitude. Croit moi, l'ether n'est pas vraiment de tout repos. La brutalité glacée de cet environnement est bien plus proche de la folie que toute la furie développée par la terre ou le feu.



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